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Director: Héctor Loaiza
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Desde 2001, difunde la literatura y el arte — ISSN 1961-974X
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157
Número Especial
7 1 2015
La Brève anthologie poétique de Luis Bénitez par Jean Dif

Comme le dit si justement Elizabeth Auster dans son avant-propos, le poète s’efface progressivement, de recueil en recueil, derrière son œuvre de sorte que le lecteur « complice de l'illusion créée par Benítez,se transforme en auteur de ce qu’il lit. » Bien qu’il ne soit pas totalement absent de ses poèmes, Luis Benítez en occupe rarement le premier plan. Souvent, ceux-ci racontent une histoire ou partent d’un fait divers. Mais, derrière la banalité des événements quotidiens, transparaît le mystère caché derrière les apparences.  Le poème glisse ainsi naturellement du récit vers une réflexion philosophique à portée universelle. Les allusions littéraires n’y manquent pas, qu’il s’agisse de Rimbaud, qui n’a pas eu assez de temps pour contempler et traduire à l’homme l’incendie des étoiles, à Ezra Pound, que ceux qui n’ont rien à dire ferait mieux de laisser parler, sans oublier Lao Tseu, Keats ou Schwob.

Plusieurs textes mettent en scène des animaux qui se font écho à travers les recueils. C’est ainsi que le tigre des Imaginations qui se retrouve incongrument sur un balcon derrière des tiges de bambou, à Buenos Aires, relaie le pachyderme qui écrase cette vieille mendiante, la routine, au Village de New-York, dans L’Après-midi de l’Eléphant.

Les poèmes de Luis Benítez font penser à une polyphonie. Plusieurs voix s’y mêlent qui se confondent dans l’unité musicale d’un orchestre. Le ton en est plutôt pessimiste, mais sans aigreur ni désespoir. La récurrence des thèmes et la façon de les traiter confèrent à l’ensemble une profonde unité qui doit être tenu pour un témoignage d’authenticité.


L’après-midi de l’éléphant de Luis Bénitez

À mon ami, le poète Nicolas Stix
où il souhaite qu’il soit.

Te souviens-tu, Nick, de l’après-midi de l’éléphant ?
tu étais accablé par le énième refus
que cette femme mariée déjà mère de quatre enfants
t’avait exprimé par téléphone
l’unique qu’elle t’avait opposé depuis alors onze ans au moins
quand elle était célibataire elle te jetait cela à la face
et tu étais irrité vraiment fâché
parce que j’arrivai à une heure tardive
et que je t’avais laissé seul dans l’énorme New York
une autre heure de plus livré à toi-même
ni mon taxi ni mes excuses ne calmèrent
ta rage anglo-saxonne
tu disais qu’on est seulement seul dans les grandes villes
te souviens-tu, Nickie, de l’après-midi de l’éléphant ?
des abondantes pluies et neiges et piétinements
de chaussures italiennes et de souliers de sport
qui passèrent par ce coin du Village
mais elle, elle n’a pas encore oublié l’après-midi de l’éléphant
toi, tu me sermonnais dans ton anglais algide
sans te rendre compte que moi aussi j’étais abattu

et alors cette ombre énorme

tu parlais de l’ennui des villes
de la mélancolie jaune qui s’installe
à l’ouest du pont de ton Brooklyn
et des jeunes femmes qui traversent seules
et en autobus les labyrinthes soyeux de Central Park
le cap sur ces quartiers où le chauffage les fait défaillir

et alors ces enjambées majestueuses

tu te plaignais de n’avoir pas été inclus dans cette anthologie
et disais que son mari était chauve
prononçait le z à l’espagnol et dessinait des histoires pour enfants
l’idiot des bandes dessinées répétais-tu
l’idiot des magazines pour la jeunesse répétais-tu
tandis que les gens
ils sont toujours alertes les gens
partaient en courant sur le trottoir
renversaient les chaises
et oubliaient la présence des enfants dans leur course folle
tu disais que la routine est une vieille aveugle
qui mendie quelques pièces à Bond Street et à Harlem
et que tout le monde la reçoit en sa maison

alors ce gros tas l’énorme
resta arrêté près de notre table
en ce coin désert tandis que le caissier
tremblant appelait la police

cinq mille kilos de jungle pacifique
écrasa l’asphalte une immense épiphanie grise
de quatre mètres de haut avec cette curieuse trompe
terminée par un doigt à la pointe
qui essayait de goûter les fruits tombés des tables
et faisait valser en jouant les nappes salies

il écrasa dans sa fuite de quelque cirque ou du zoo
cette vieille mendiante qui angoisse
les gens opprimés dans leur maison
il nous regardait sans crainte comme toutes les choses
qui répètent en souriant qu’elles sont amies de l’homme.

acerca del autor
Jean

Jean Dif, né en 1934, à Saint-Sandoux, est un poète français. Il a publié dans de nombreuses revues, françaises et étrangères, et il est aussi l'auteur de plusieurs recueils. Passionné d'histoire et grand voyageur, il a également rédigé des ouvrages historiques et des récits de voyage. Plusieurs pages de son site Internet, notamment celles relatives à la Chine et en particulier au Tibet, jouissent d'une notoriété internationale et ont été référencées par de nombreux autres sites tant français qu'étrangers. Il collabore depuis février 2010 au magazine en ligne « Histoire pour tous » dans lequel il a publié plusieurs articles concernant le Premier Empire et l'histoire du Québec. Il est membre correspondant de l'Académie européenne des sciences, des arts et des lettres.