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Desde 2001, difunde la literatura y el arte — ISSN 1961-974X
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Número Especial
12 5 2003
R.P. Maurice Cocagnac : « il y a dans la Bible la mention d'allié », entretien accordé à Manuel Pinta
R.P. Cocagnac : J'ai rencontré Castaneda à Mexico en 1979, grâce à mon ami, Fernando Benitez, qui a écrit beaucoup de choses sur le monde indien. J'avais déjà lu un certain nombre de livres de Castaneda et je voulais voir exactement ce qu'il se passait dans le monde magique mexicain. J'ai fait d'abord un travail d'étude d'ethnologie dans les musées et dans les bibliothèques pendant des mois. Puis un jour, l'occasion m'a été donnée de rencontrer Carlos Castaneda.et j'avoue que cela a été pour moi une grande chance dans ma vie. D'abord, l'homme m'a paru très direct, très solide. Il m’a raconté beaucoup de choses de son histoire personnelle et j'ai découvert qu'il avait un grand sens de la vérité et de la précision. On sent d'auteurs chez lui la formation de l'ethnologue qui à fait ses études de philosophie, Parce qu'il a des moyens d'interpréter un certain nombre de réalités qui ont été révélées par les brujos (je n'arrive pas à dire, sorcier en français, parce que cela ne va pas), Ce qu'on découvre à travers ses livres, c'est que les premiers Toltèques vivaient encore d'une façon directe ces expériences alors que maintenant, il le dit lui-même, dans Le Feu de dedans, il s'agit bien d'une deuxième génération, c’est à dire des gens qui réfléchissent. C'est un peu ce qui est arrivé, en Inde : d'abord, dans le premier temps du Veda, il y avait surtout un monde magique et puis ensuite la deuxième génération a été une génération de gens qui ont réfléchi et ont terminé une véritable vision du monde à partir des expériences qu'ils ont faites. Manuel Pinta : Lorsque vous avez connu Castaneda, qu'est-ce qui vous a frappé le plus dans sa personnalité ? R.P. C. : La simplicité. Et moi, ce que j'aime beaucoup, c'est son humour. On a rit. Mais à ce moment là, il avait beaucoup de difficultés avec l'une de ses femmes. Parce que c'est un personnage aussi avec des côtés charnels, avec des côtés émotifs. M.P. : D'après votre lecture de l'oeuvre de Castaneda, si discutée par l'ethnologie officielle est-ce qu'il y a un fond de vérité derrière tout ce qu'il a raconté ? R.P. C.: Je suis sûr qu'il y a un fond de vérité. Carlos m’a dit lui-même quand je l'ai rencontré qu'il avait une dizaine- de milliers de pages de notes ethnographiques et qu'il était donc obligé de faire une écriture de reportage, parce qu’il ne pouvait pas publier la totalité du matériel qu’il avait. Il ne faut quand même pas oublier que, derrière les expériences qui peuvent nous sembler extraordinaires, il y a une phénoménologie et que don Juan Matus n'est pas un Indien quelconque, c'est un homme qui; à certainement beaucoup réfléchi et qui a fait des études. M.P. : Peut-on dire que don Juan a réellement existé ? R.P. C. : Oui, puisqu'il m'a proposé : « Je vais vous faire rencontrer don Juan ». Je lui ai répondu que je n'étais pas encore prêt et que je n'avais pas envie d'aller voir don Juan pour lui dire « bonjour ! ». Je me suis dit que je reviendrais peut-être un jour, mais pour l'instant je n'étais pas encore prêt, c'est moi qui n'ai pas voulu aller le voir, parce que je pensais que c'était une chose trop importante pour une rencontre de cinq minutes. M.P. : Puisque vous êtes théologien, comment arrivez-vous à harmoniser ces pratiques magico-religieuses, appelées de la « sorcellerie » avec votre vision chrétienne du monde ? R.P. C. : Je pense que les théologiens ont passé leur temps à essayer de concilier la raison avec les données de la foi. Quand on dit qu'il y a eu des miracles dans la vie du Christ, que les prophètes ont fait des choses extraordinaires, que Saint-Paul parle du corps spirituel qui ressuscite, là, le travail de la théologie c'est d'essayer de comprendre avec la raison quelque chose qui la dépasse. Voilà pourquoi je ne suis pas tout à fait démuni devant ce genre de choses. A l'heure actuelle, il y a des théologiens rationalistes qui essayent d'éliminer les guérisons, les miracles et tout le monde merveilleux au fond de la Bible, A ce moment là, ce n'est plus de la théologie, ç'est un effort de rationalisation des données qui échappent à cette rationalisation. Par ma formation théologique, je suis plutôt habitué à faire face à l'inconnu, aux choses étonnantes du domaine du merveilleux et du miraculeux, en essayant de tenir un discours logique, ce qui ne veut pas dire matériellement rationnel... Dans son dernier livre, Carlos dit une chose très importante qu'il ne faut pas confondre ce qui est inconnu avec ce qui est inconnaissable. Il est certain que la science a tout fait pour explorer ce qui est encore inconnu et qui sera connu un jour, mais qu'il existe quand même des domaines de l'inconnaissable absolu. Moi, c'est une chose que j'ai toujours senti, il y a d’autres radars que l'esprit humain pour entrer en contact avec l'inconnaissable. Alors qu'avec la connaissance humaine, on ne peut rentrer que dans le domaine de l'inconnu qui un jour deviendra connu. M.P. : La seule explication, disons pour comprendre la quête de Castaneda est le fait que cela se déroule au Mexique. R.P. C. : Dans ma jeunesse, dans mon âge mûr, pendant la guerre, j'ai vécu un certain nombre de choses que je n'ai pas pu expliquer, de sorte que le monde de Castaneda ne m'étonne pas. Il me fait peur, parce que la peur fait partie de l'initiation chamanique. S'il m'étonne dans ce sens qu'il me dépasse, il ne me déroute pas, j'accepte tout à fait la possibilité que l'esprit humain n'ait pas conscience totale de la réalité et qu'il reste une partie inconnue ne se révélant que par d'autres moyens. M.P.: D’où vient cette peur alors ? R.P. C. : En Espagnol, il y a une différence entre susto et miedo. La peur a toujours un objet, on a peur de quelque chose de précis. Quand on est à la guerre, on a peur de recevoir une balle. Quand on a peur, on est loin de l'angoisse (le susto). Avoir peur d'une chose précise au fond, c'est encore être tranquille, parce qu'on peut encore se défendre. Mais quand c'est la peur sans objet, cela est difficile. Au fond, c'est l'inconnu ou l'inconnaissable qui nous donne l'angoisse. Lorsque les indiens mexicains considèrent qu'ils ont « perdu leur âme » qu'est une maladie. C'est une façon très belle d'exprimer au fond ce que tous les philosophes de 1’angoisse ont exprimé comme Kierkegaard, quand il dit que dans la nature humaine, il y a un fond d'angoisse. Nous avons un philosophe, qui à mon avis va devenir de plus en plus important, Georges Bataille, qui dit que la base de la nature humaine, c'est l'angoisse. A ce moment là, faire l'expérience de l'angoisse, c'est faire l'expérience de sa nature la plus profonde. M.P.: Enfin de compte, Castaneda montre don Juan sous une lumière messianique, c'est pour cela que les médias américains l'ont comparé à un nouveau Jésus... R.P. C. : Je me méfie de la façon avec laquelle les Américains voient des Messies partout. Avec Castaneda on a beaucoup rit de cela. Le rire au Mexique est très important. Je crois que simplement don Juan Matus et don Genaro Flores et les autres sont les témoins d'une tradition extrêmement importante, qui n'est pas seulement une pratique magique, sinon une réflexion philosophique. M.P.: Mais en Europe, on peut se demander, comment des Indiens illettrés peuvent être capables de maintenir une réflexion philosophique ? R.P. C. : Don Juan n'est pas du tout analphabète, il est certainement un autodidacte. En tout cas, Castaneda n'est pas un de ces ethnologues qui ne connaissent rien à la philosophie. Je lui ai demandé quel est le point par lequel on pouvait en Europe s'approcher de sa pensée, il m'a répondu que c'est la phénoménologie de Merleau Ponty. Il m'a dit qu'au fond c'était une réflexion phénoménologique, qui suppose d'abord un vécu. Il y a une réflexion sur un vécu et pas sur un enchaînement de concepts, ce n'est pas une philosophie formelle. M.P.: Castaneda a beaucoup travaillé aussi sur la philosophie de Wittgenstein en rapport à la perception... Quand il dit que la réalité n'est qu'une fiction, comment peut-on expliquer cela dans une pensée rationaliste ? R.P. C. : Je crois que ce qu'il entend par réalité au fond, c'est la connaissance objectivante. Ça, c'est le vieux problème. Personnellement, quand je me mets à penser sur la vision de Castaneda, je ne me sers pas du tout d'Aristote ou de Platon, ou de Descartes (d'un Descartes decartésien, parce qu'il était beaucoup plus malin), mais je fonctionne avec les concepts de la pensée indienne. C'est à dire qu'à partir du moment où l'esprit de l'homme se rend compte qu'il découpe dans le réel des objets, à ce moment là ce qu'il appelle « la réalité », c'est perpétuellement des objets qu'il a découpés dans la réalité. Donc, faire la distinction entre l'objet et la réalité, c'est l'acte de vérité par excellence ! C'est savoir que dès qu'on a atteint ce qu'on voit de la réalité, celle-ci est un objet jusqu'au moment où, alors, il peut se passer des actes très profonds dans lesquels la pensée ne fonctionne plus d'une façon objectivante, tandis qu’elle fonctionne naturellement dans certains moments de la vie, par exemple pendant l'acte amoureux. Saint-Thomas d'Aquin dit qu'à un moment donné, la raison est suspendue, qu'il y a une perception directe de la réalité. Cela existe dans le rêve quand on a très peur. Je crois que philosophiquement ce qu'il dit se tient très bien à condition qu'on emploie des concepts, des moyens philosophiques qui sont ceux de la phénoménologie qu'elle soit occidentale ou indienne. M.P.: Ce qui est admirable dans le message de don Juan est sa vision éthique... R.P. C. : Et puis, il a admirablement organisé la résistance spirituelle des Yaqui, et c'est pour cela que c'est extraordinaire le retentissement de Castaneda en Europe ! Cependant on parle toujours de Castaneda alors que c'est plutôt la tradition néo-toltèque. Quand je compare le retentissement de l'oeuvre de Castaneda aux États-Unis à ce qui se passe ici, en Europe c'est beaucoup plus profond. Ils ont cherché en Amérique une recette avec Castaneda, comme ils l'ont fait avec la drogue, comme avec Thimothy Leary. Tandis qu'il est terriblement difficile de pénétrer dans la pensée de Castaneda, c'est une pensée phénoménologique qui n'avance que petit à petit et il faut attendre le dernier livre pour mieux comprendre. M.P.: On dit que les quatres premiers livres sont bons et qu'après « Histoire de pouvoir » il y a une sorte de répétition de situations... R.P. C. : Cela ne me gêne pas. Les Occidentaux sont habitués à une pensée linéaire, de type discursive, et la pensée de Castaneda est méditative, en spirale. Donc, si vous suivez une spirale, une hélice, vous risquez de repasser trente-six fois au même endroit et à chaque fois on va un peu plus loin. Dans le dernier livre, Le Feu du dedans, c'est la première fois qu'il y a une théorie cohérente de la perception, l'histoire de sortir du point d'assemblage. M.P.: Comment vous interprétez le " point d'assemblage " ? R.P. C.: Finalement, cela rejoint les données de la physiologie contemporaine. Quand on parle de l'énergie, les gens croient que simplement il s'agit des calories, comme l'essence dans la voiture. Lorsqu'on prend l'exemple de la voiture, on se rend compte qu'il n'y a pas que l'essence, il y a aussi l'énergie subtile, l'électricité qui apporte des informations. Ne serait-ce que dans votre tableau de bord maintenant il y a des informations qui vous fournissent certaines indications. Il y a une autre énergie qui est informante. Ce qui constitue la connaissance c'est une structure d'information, comme le dit Laborit, c'est à dire que notre corps a tout un logiciel que la vie structure d'une certaine façon. C'est le principe de la vision binoculaire : si je regarde avec un oeil, je vois bien les choses en place, mais si je vois avec mes deux yeux, je vois la troisième dimension. Dans la perception générale, c'est la même chose, il faut de temps en temps faire l'opération, je fais un petit pas à droite et je regarde la réalité de l'autre côté. C'est tellement angoissant de faire cela qu'il y a peu de gens qui ont dû le faire. M.P.: En rapport à l'énergie dont vous avez parlé, Castaneda raconte cet étrange maladie qu'il a eue, l'hyperventilation, qu'aucun médecin ne pouvait soigner et à propos de laquelle don Juan lui a dit qu'il était en train de perdre sa forme humaine... R.P. C.: Il y a une chose qu'il ne faut pas oublier, notre nature d'hommes est organique. Nous fonctionnons avec une connaissance où il y a cette structure organique. Dans son dernier livre il parle des êtres non organiques. Pour moi que les anges existent ne me pose aucun problème; je ne les ai pas rencontrés au coin de la rue, mais j'ai bien l'impression que quelquefois j'ai trouvé sur mon chemin des «alliés» qui m'ont drôlement aidé. Pendant la guerre, si je suis encore vivant, c'est parce que brusquement, j'ai eu ces coups d'intuition qui venaient de quelque chose de très profond et j’ai eu l’impression d'être aidé. Mais ils sont très dangereux, parce qu'ils vous font des pièges exprès. Ce n'est pas aussi simple qu'on le croit, en tout cas il ne faut pas mettre des catégories morales. Un bon ange qui nous protège, tout cela, je ne le crois pas. Des entités non organiques qui sont autour de nous et qui nous provoquent, oui, je crois. M.P.: Dans ce que raconte Castaneda, les «alliés» n'ont pas une charge morale quelconque, quelle soit positive ou négative. R.P. C.: Pas du tout. Ils sont chargés de créer la terreur... Mais c'est là que la Bible m'intéresse, parce qu'il y a dans la Bible la mention d' « allié ». Au début, quand on parlait des anges de Dieu, on voyait toujours des espèces de personnage un peu féminins, asexués, qui étaient là pour dire à Dieu qu'il est grand et aux hommes qu'ils doivent être toujours gentils. Cela m'a toujours paru une « couillonnade ». Par contre, j'ai changé d'avis quand j'ai trouvé l'histoire de Jacob; au moment d'entrer dans la terre sainte, celui-ci est dans son camp avec sa famille et il va au bord du ruisseau pour voir le passage qui lui permettra de rentrer dans la terre que Dieu lui a signalée. Un personnage mystérieux vient se battre avec lui pendant tolite la nuit. A la fin, l'autre lui fait un coup de karaté et Jacob reste boiteux toute sa vie. On lui dit qu'il s'était battu avec Dieu, parce que c'était à la fois un personnage non organique mais il était un représentant de Dieu. Qu'est-ce qu'il a voulu faire ? Il a aidé à Jacob à vouloir ce qu'il voulait, parce qu'on peut vouloir avec la tête, mais il faut que la volonté descende dans les pieds. Par cette bataille, qui a été terrible, la volonté était descendue dans les pieds. C'est cela qui est très important ! M.P.: Est-ce que derrière l'oeuvre de Castaneda on peut dire qu'il y a une gnose ? R.P. C.: Au sens large du terme, oui, absolument. Mais il ne faut pas oublier quand même l'un des quatre évangiles gnostiques, celui de SaintJean. La gnose n'est pas nécessairement, même pour lès chrétiens, hérétique. Quand on lit chez Saint-Jean, « au commencement était le verbe », c'est le principe de toute recherche gnostique. M.P.: Avez-vous rencontré en Occident des personnages aussi importants que don Juan, des véritables maîtres spirituels ? R.P. C.: Des gens très modestes. L'un était un prêtre qui avait été prisonnier pendant la guerre, qui était revenu ici pour s'occuper des gens les plus pauvres dans la banlieue de Villejuif. Mais il ne savait pas qu'il était un maître, C'est cela qui était extraordinaire et c'est cela qui m'a fait penser qu'il était un vrai maître spirituel. En plus, il avait beaucoup d'humour et de gaieté comme les maîtres mexicains, mais il avait en même temps un pouvoir spirituel. M.P.: Croyez-vous que Castaneda a eu de la chance d'avoir rencontré don Juan ? R.P. C.: Mais qu'est-ce que c'est la chance ? Il y a une belle théorie de Bataille. Quand quelqu'un est descendu au fond de son angoisse à ce moment là, où il commence à remonter il y a toujours la chance qui est là. La chance n'existe pas pour les gens qui ont une vision du monde bloquée. A partir du moment où l'angoisse arrive et casse la vision du monde, il y a un moment où on est en état d'ouverture et la chance est toujours là ! Mais il faut qu'il y ait cette ouverture.