Jueves 28 | Marzo de 2024
Director: Héctor Loaiza
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Desde 2001, difunde la literatura y el arte — ISSN 1961-974X
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Literatura
13 2 2018
Le Nomade stellaire, nouveau roman de Hector Loaiza

Un

Dans les premières lueurs de l’aube qui pénétraient à travers les fentes d’un store métallique, on voyait un vieil homme dormant paisiblement sur un lit de bronze dans la chambre d’un bâtiment, aux alentours du village provençal de Pernes-les-Fontaines. Aléatorius se trouvait dans un rêve au milieu d'un resplendissement bleuté. Autour de lui, quatre ombres diffuses l’examinaient comme s’il était l’unique survivant d’une espèce en voie d’extinction. Elles lui prélevaient du sang et des échantillons de tissus à l’aide d’instruments qu’il n’avait jamais vus. Puis on entendit le miaulement rauque du siamois, son compagnon depuis plusieurs années.
Pour quelle raison miaule-t-il ? se demanda le vieil homme en se réveillant. Le rayonnement avait alors laissé place à une semi-pénombre. Mila avait passé la nuit sur un fauteuil de la salle de séjour toute proche et il avait vraisemblablement perçu la présence d’intrus dans la pièce d’Aléatorius.
Aléa — son entourage avait ainsi abrégé son nom — cherchait à se persuader qu’il n’était pas encore dans son songe, mais dans sa chambre. Il toucha la couverture en laine, les bords de son lit et il se tourna légèrement pour tâter de la main droite la petite table de nuit oú se trouvaient empilés ses livres de chevet.
Les deux vigiles chargés de la sécurité du local de la start-up ne s’étaient pas réveillés devant cette agitation subreptice. S’il y avait eu une quelconque présence, ils auraient été alertés par le système électronique de surveillance.
Á mesure que le jour éclairait la pièce, on distinguait son visage ovale, au teint cuivré et creusé de rides montrant qu’il avait atteint un âge où le temps ne pouvait plus laisser de traces sur sa peau. Une mèche des cheveux blancs cachait son front ample et rempli de plis. Autour de ses grands yeux bruns et pénétrants, ses paupières lissées et légèrement enflées ressemblaient à des poches. Deux plis profonds descendaient des ailes de son grand nez jusqu’aux commissures de ses lèvres. Ses grandes oreilles décollées semblaient des radiotélescopes dressés sur un point du ciel. Sa bouche aux lèvres charnues et son menton pointu rendaient son visage singulier.
Aléa cherchait à distinguer parmi les images floues que lui offrait sa vue, le détail qui aurait pu changer durant la nuit. Le décor de la chambre était austère : en plus de la table de nuit, on voyait une étagère sur laquelle des ouvrages étaient rangés et quelques reproductions de tableaux sur les murs.
Comme tous les jours, il se leva tôt et se concentra avec entrain sur les tâches passionnantes qu’il devait accomplir au laboratoire dans la matinée. En rassemblant ses forces, il se dirigea vers la vaste salle de gymnastique où il accomplirait le rituel de ses exercices quotidiens, comme il l’avait fait au cours de ces dernières années. Il y enleva sa robe de chambre et garda son pyjama, monta sur le tapis de marche électronique et régla la vitesse et la durée pendant laquelle il allait y rester. Après quelques pas, il commença à trottiner en suivant le rythme de la machine. Ses marches quotidiennes sur le tapis et son alimentation frugale lui avaient permis de rester actif et autonome jusqu’à un âge avancé. Ce régime de vie n’expliquait pas entièrement une telle longévité.
De quelle façon y suis-je arrivé ? se demanda Aléa en fermant ses paupières ridées. Il était en effet proche d’être centenaire. Quelques détails dans sa vie quotidienne évoquaient pour lui l’écoulement du temps. Lorsqu’il regardait pour se distraire des films à la télé ou sur Internet, surtout ceux de science-fiction, il s’apercevait que les acteurs ou les actrices qu’il avait vus dans leurs débuts comme de jeunes premiers ou de jeunes stars, avaient vieilli : les visages ridés en dépit des artifices employés pour paraître plus jeune, les cheveux blancs ou le front dégarni. Le temps impitoyable avait marqué leur corps. Il ne se sentait pas oppressé par son vécu et ne trouvait pas que le monde soit monotone comme ceux qui avaient eu une longue existence. Il n’était pas encore déçu par les répétitions de certaines méprises commises par les femmes et les hommes des générations successives.
La limpidité du ciel bleu turquoise de sa ville natale, au nord du Pérou, avait laissé sur lui une trace ineffaçable. Il était né avec une tache de vin sur la poitrine, en forme d’hexagone à la hauteur du cœur, mais il ne savait pas quel sens donner à ce signe. Longtemps après en France, il découvrit que cette tache avait la forme du pays qui l’avait adopté.
Même si les vieilles scènes lui apparaissaient comme surex-posées, il n’avait pas oublié son enfance dans l’ancienne cité inca, Cajamarca. La ville était située dans une large vallée aux terres fer-tiles, au pied de la montagne Santa Apolonia qui faisait partie de la chaîne occidentale des Andes du Nord. Dans un paysage teinté de vert durant la saison des pluies, son enfance avait été plutôt joyeuse comme enfant unique de parents aimants, prêts à satisfaire ses moindres désirs. Les premières années de son existence avaient été paisibles. Longtemps après, chez les anciens de l’Arizona, il essaya de questionner ce prétendu bonheur dans lequel il avait évolué et les anciens s’étaient moqués de lui et lui avaient dit de ne pas exagérer.
« Oh ! C’est une grande bâtisse ! » s’était écrié, un après-midi, tout étonné un compagnon du collège en voyant la demeure familiale. Le mot employé en espagnol caserón, lui avait fait penser à cascarón, « coquille ». Il s’amusait dans son âge tendre à faire des jeux de mots. Il n’était alors pas surprenant qu’il eût vécu les premières années de sa vie dans une grande coquille. La façade, peinte et repeinte au cours des années, cachait tant bien que mal sa détérioration aux voisins et aux piétons. Plusieurs couches de peinture marron foncé avaient été appliquées sur le portail, les portes des magasins et les six balcons en bois. Le toit était couvert de zinc et non de tuiles comme ceux des autres maisons coloniales du centre-ville. La demeure paraissait renfermer entre ses larges murs en briques crues les souvenirs de ses ancêtres. Lors de ses premières années, la maison représentait pour lui le centre névralgique d’où partaient des lignes vers les quatre coins de la ville.
Comme dans une bande vidéo usée, il revoyait défiler des souvenirs sépia : Il revenait du collège, portant son cartable en cuir rempli de cahiers et de livres, fatigué d’avoir joué, couru et crié dans la cour. Sur les feuilles de ses cahiers figuraient des idéogrammes, sortes d’exorcismes pour apaiser son ennui lorsqu’il voyait passer les heures au ralenti. En utilisant des carrés, traversés par des diagonales, des cercles remplis ou vides et des nouvelles formes géométriques, il avait inventé un alphabet secret que personne d’autre ne pourrait déchiffrer.
En revenant du collège, il avait l’habitude de raconter des blagues à ses parents. Il leur avait dit : « C’est l’histoire d’un sot qui marche dans la rue en changeant plusieurs fois de trottoir. Il demande à un passant :
— Auriez-vous l’amabilité, Monsieur, de m’indiquer où se trouve le trottoir d’en face ? »
Le passant l’observe un peu intrigué, pensant qu’il se trouve en présence d’un farfelu, mais l’air innocent de son interlocuteur le rassure. Il lui répond : « Le trottoir d’en face est celui qui est de l’autre côté de la rue, en le lui montrant avec son index.
— Que c’est curieux, Monsieur, là-bas on m’a dit que c’était celui-ci! »
Ses parents s’étaient esclaffés de la blague rapportée du collège par leur enfant.
Depuis le balcon de sa chambre, il observait les passants pour mémoriser leurs visages et leurs vêtements. Il était à l’affût du moindre détail qui aurait détonné dans leur apparence. Au rez-de-chaussée, la cour intérieure était entourée de chambres de bonnes, les autres pièces servant de dépôts au magasin paternel, de garde-manger et de cuisine. On montait au premier étage par un esca-lier en bois jusqu’à la porte de la salle de séjour. En traversant le couloir, on se retrouvait devant la salle à manger, puis devant la chambre des invités (située près de l’escalier afin d’éviter qu’un visiteur distrait ne passe devant la prochaine porte, la chambre de ses parents). Enfin, sa chambre aux murs couverts de stuc et peints en bleu clair se trouvait au bout du couloir.
Ses premières années avaient été bercées par la voix douce de sa mère. Il voyait son père avec ses moustaches, sa chemise blanche, sa petite cravate, sa veste, son gilet et ses pantalons de laine. Assis sur sa chaise, dans la salle á manger, il était concentré sur la lecture du journal local. Il commentait les nouvelles á sa femme : la naissance d’un enfant chez des couples amis ou la notice nécrologique d’un notable de la ville.
Dans son enfance, sa mère lui avait fait croire qu’il était mignon. Plus tard, il avait découvert sur un album une photo de lui de la même époque oú il se trouvait debout sur une chaise en osier avec, en arrière-plan, un palais peint en noir et gris et un lac peuplé de cygnes. La lumière tamisée des projecteurs avait éclairci son teint ; ses grandes oreilles lui donnaient une allure amusante, mais il n’était pas beau.
Au bout d’une heure de marche sur le tapis roulant, de petites gouttes de sueur glissèrent sur les sillons de son front et de ses joues. Il passa ensuite á la salle de bains contigüe et enleva sa robe de chambre et son pyjama. Sous la douche, il régla l’eau froide et l’eau chaude. Il ne devait pas utiliser plus que les cinq litres d ’eau programmés par le distributeur central. Il faisait cela par éthique, puisque le précieux élément manquait dans plusieurs régions du globe. Il frottait son corps ratatiné avec une éponge naturelle et de la mousse de savonnette. Couvert d’un peignoir, il retourna dans sa chambre pour s’habiller d’un costume désuet, un peu usé, propre et bien repassé. Les exercices et la séance d’hygiène corporelle étaient le préambule indispensable d’un autre rituel quotidien d’une haute importance : son travail sur un prototype d’ordinateur.
Ces détails, en apparence banals, étaient inconnus des habitants du village de Pernes-les-Fontaines. Cela faisait plus de deux ans que le groupe Orbis avait construit dans la plus grande confidentialité ce local, éloigné des grandes villes. L’argument retenu par son Président directeur générale (PDG), Jean-Claude Garaud, était la facilité d’accès au village par l’autoroute et sa relative proximité de l’aéroport d’Avignon.