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Desde 2001, difunde la literatura y el arte — ISSN 1961-974X
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Literatura
4 7 2016
Le monde est un arbre (poème) de Zéno Bianu

Un arbre dressé
qui regarde les veines du ciel
un arbre perdu
qui pousse au centre du monde
un arbre éperdu
qui se couche lentement sur le lit du vent

le monde est un arbre
le monde est un arbre
et nous sommes les feuilles
de ses branches

c'est l'arbre étoilé d'anges
qui vit un jour
le tout jeune William Blake
au milieu d'un champ

c'est l'arbre qui depuis toujours
regarde les amants
par la fenêtre des chambres d'hôtel
les regarde
les abrite
et les protège

c'est le chêne dans la neige
définitif
de Caspar David Friedrich
un arbre état d'âme
un arbre
d'une tendresse convulsive
qui s'agrippe doucement
aux artères

le monde est un arbre
et nous sommes les feuilles
de ses branches
nous feuillons infiniment

c'est cet olivier mystérieux que croisa
Rilke
un soir de 1911
dans le jardin du château de Duino
cet olivier
qui lui transmit un sentiment
le sentiment absolu
l'impression
d'avoir traversé la nature pour en sortir de l'autre côté

arbre de cœur arbre de vie

ce sont les arbres-poumons d'Amazonie
qu'il faut défendre pour l'éternité

ce sont
avant tout et à jamais
les oliviers de Giotto
oliviers bienveillants
frères arbres
attentifs à la descente du bleu
dans l'esprit de saint François

attentifs à la descente
pour mieux s'élever
descendre
au plus profond des racines
pour atteindre le fond du ciel

le monde est un arbre
et nous sommes les feuilles
de ses branches
nous feuillons infiniment
entre splendeur et souffrance

je n'y suis pour personne
dit l'arbre nu d'Emily Dickinson
chaque arbre est un dessin d'herbier
lui répond Sylvia Plath

chaque arbre
ouvre à la plus haute qualité d'attention
chaque arbre dit
son infinie révérence
à tout ce qui est
chaque arbre écoute
notre éclosion

arbre de cœur arbre de vie
chemin de veine en paradis

c'est l'amandier toujours fleuri
l'ultime tableau de Bonnard
qui nous souffle l'ostinato
de sa pulsation
afin que nous refleurissions
sans relâche et sans fin
en arbre de vie vivante

le monde est un arbre
et nous feuillons infiniment
entre la nuit et le jour

nous sommes les bourgeons d'un même arbre
répète Nietzche
d'un arbre qui habite trop près
du siège des nuages
d'un arbre
qui attend le premier coup de foudre
d'un arbre qui sait
qu'il en est de l'homme comme de l'arbre
racines enfoncées dans l'abîme
branches happées vers le plus haut

arbre du ciel axe des nuits
chemin d'éveil en infini

ce sont les peupliers qui vibraient
scintillaient
comme nacre sous ta fenêtre
frémissaient
vaguelettes de mercure sur l'eau
quand tu m'appelais chaque samedi

peupliers
compagnons de haute mélancolie
pour un frisson de vert
pour un frisson de bleu
pourvu que le souffle soit là
pourvu que le frisson frissonne
pourvu que le silence chante

arbres
qui habitez les haikus
je vous écoute
j'écoute votre sève de silence

et Ryokan m'émerveille
le monde
est devenu
un cerisier en fleur

et Shiki me murmure
sur un seul arbre
dans la plaine immense
les cigales s'attroupent

et Issa m'enseigne
prépare-toi à la mort
prépare-toi
bruissent les cerisiers en fleur

le monde est un arbre
et nous feuillons infiniment
entre la mort et la vie

nous feuillons
comme le grand arbre blanc
de Bernard Nöel
par lequel
nous voici verticaux sous l'étoile

nous feuillons et nous voyons
Michaux
qui vit un arbre
dans un oiseau

nous feuillons
passage à la mort
passage à la vie
passage par l'arbre-seul d'André Velter
passage à la racine
passage à la fleur
serons-nous morts
serons-nous vivants

nous feuillons
au diapason des infinis
nous feuillons et soudain nous comprenons
oui nous comprenons Novalis
qui perçoit la nature comme un arbre
dont nous sommes
les boutons de fleurs
qui voit l'arbre
comme flamme fleurissante
et l'homme
comme flamme parlante

et Artaud nous bouleverse encore
qui évoque
un arbre au centre du vent
un arbre
forêt sombre d'appels
qui mange le cœur de la nuit

et voici Césaire devenu arbre
à force de regarder les arbres
devenu bel arbre immense
arbre-athlète
mouillé de toutes les pluies
devenu arbre
dont les longs pieds creusent le sol
de hautes villes d'ossements

le monde est un arbre
arbre dressé jusqu'à l'esprit
chemin de sève où tout s'inscrit
arbre d'automne dans l'air qui bouge
de Schiele
idéogramme de souffrance absolue
pulsant vers le haut
toujours vers le haut

arbres noués en tourments
de Soutine
arbres en autoportraits de nerfs
griffonnés par Wols

clairières d’humains
d’encore humains
de malgré tout humains
tirés vers le haut par Giacometti

peupliers de Paul Celan
tendant leurs mille bras à travers les eaux
pour ne plus jamais brûler

arbre d'étoiles recueillies
chemin de cœur chemin de vie

chemin que prennent sans répit
les cyprès de Vincent
en poussières d'étoiles
cyprès galaxies
eaux vives de l'instant
émergeant toujours du présent
cyprès foudroyants
hors du mesurable
énergie pure
discontinuité créatrice
vision d'une vie enfin complète

le monde est un arbre
et nous sommes les feuilles
de ses branches

un arbre dressé
qui regarde les veines du ciel
un arbre perdu
qui pousse au centre de lu monde
un arbre éperdu
qui se couche lentement sur le lit du vent.